dimanche 18 mars 2007

Dormir comme un Ange


Un rêve ce n'est rien. Rien d'autre que les relans d'une idée fixe et volatile, obligée de se drapper de reflets violets pour passer la fenêtre de notre chambre, voleuse et avide qu'elle est d'y dérober un peu de cet a-temps que la nuit réserve à nos sens. Perte de connaissance, temps gagné sur la journée à rêvasser des limites de sa réalité, méprise, oubli du monde, des êtres, des lieux, des objets que la "magie" du rêve nous force à prendre par la racine. Dire aujourd'hui que le rêve est étrange, troublant, révélateur et incantatoire reviendrait à arranguer la parole de Galillée à l'époque des hommes sur la lune et des femmes in-vitro-fécondées. Le rêve de chacun ne trahit rien d'autre que la situation de tous, et a finalement - malheureusement - si peu d'importance...

Pourtant, aujourd'hui, je me lève, m'étire, vérifie qu'à ma fenêtre ne cogne rien d'autre que la lumière molle d'un dimanche midi, me lève une nouvelle fois et songe -pour de vrai cette fois- au rêve que je viens de chasser. Contempler sans limites les plis d'un lit défaits.

Chez moi, le chez moi d'il y a trois ans. Mon appartement, pourtant éclairé avec l'avarice des sols trop bas dans les villes trop hautes, mes photos un peu sourdes, mes voiles un peu las, mon piano sur de sa voix et tout ce qui aujourd'hui signifie pour moi les années muettes mais satisfaites du crépuscule de l'enfance. Nostalgie.

J'étais donc chez moi, à deux pas d'y arriver en tout cas, longeant le couloir trop étroit aux boîtes au lettres trops larges sur lesquels souvent je m'étais griffée, peu importe. Dans les rêves seuls les pressentiments sont vrais. Je revenais d'un long voyage, énième déclinaison de mon Est, mon amant, ma ville miroir et son nom en trois K...évidemment. Et au bout de ce couloir ce n'était pas la joie de me retrouver chez moi, ni même l'inquiètude mêlée de triste impatience de déplier bagage, qui devaient m'accueillir mais bien un pressentiment qui se trainait à mes pieds sous la forme stoïque, imparable d'une traînée de lumière sur le pas de ma porte qu'en partant j'avais tout simplement...oublié de fermer. Pleins phares, carnage, tapis retourné, fenêtres béantes dégeulants des nuits de beuveries anonymes, frigo encombré de "tout à jeter" et les touches de mon piano arrachées. Drame, larmes, et points serrés mon amant à mes côtés. Autrement, j'aurais dit que l'on m'avait volée, mais puisqu'il s'agissait d'un rêve, je dirais plutôt que l'on m'avais usurpée.

Une voisine - pour le coup faisant totalement partie de la petite fiction que tissait ici ma nuit - témoignait: une jeune fille avait vécu, fêté, baisé, salopé et même sappé la voix à 100 cordes de mon autre bien-aimé. Une jeune fille "au regard électrique" m'avait remplacée. Mais en même temps n'étais-je pas là, avec mes valises, mon amant, le souvenir lointain qu'un jour j'avais vécu dans cet appartement contre la réalité encore toute proche de décors vus en voyages et étrangers - ceux-là relevant bel et bien de ce que j'appelle le rêve réel- ... Comme j'avais ouvert la porte à l'impatience de mon amant venu me "découvrir" chez moi, n'avais-je pas invité les usurpateurs à s'introduire et à vivre dans les marques que, le faisant presque exprès, je leur avais laissé. Oui, j'ai provoqué l'usurpation de mon identité en décidant de partir, de voyager, de fuir puisque dans les rêves il est impossible de mourir ; et qu'on ne me force pas raconter ici l'épisode de la chute qui n'en finit pas que chacun à un jour vécu au fond des draps.

Les draps, justement, de même que le "hasard" de l'heure nous arrache au rêve, il faut une bonne raison de s'en extirper. Ce matin, après mon insignifiante petite fiction, un film. Un film où celui qui joua bien souvent les fous, les désaxés, les beaux et intouchables à se damner, voyage et fuit. David (Jack Nicholson) Locke fuit à travers l'europe, à travers les maisons de Gaudi, les places de l'Andalousie faites de vides, de sueurs mélangées et de poussière devenus les Temples qu'érige Antonioni. Mon rêve m'a guidé jusqu'au regard de l'autre Michelange. Pourquoi David Locke fuit? Que fuit-t-il? Aussi bête à dire qu'impossible à filmer: David Locke se fuit et devient le clandestin de sa propre vie. Il est celui qui, sur une route bouffant des arbres à n'en plus finir sous les roues de sa décapotable, dit à la jeune fille -l'accompagnant d'une adorable et incroyablement cinématographique naïveté- de regarder vers l'horizon qui s'éloigne lorsque celle-ci lui demande justement pourquoi il fuit. David fuit ce qu'il a accomplit, la destinée brillante et sans écart d'un grand reporter d'un observateur faiseur d'images et de mots qui trahissent la réalité lisse et afutée. Comment? En usurpant l'identité d'un traficant d'arme. Un homme qui, lui, touche à des choses concrètes, quand David ne tâte que la réalité fragile des mots et images. Ainsi, cet homme ne connait pas la peur, n'a jamais gouté la grande précarité de la vie mais surtout, cet homme ressemble à s'y méprendre à David Locke, au seul détail près qu'il est un peu plus gros, un peu plus empétré dans la matière des choses. Et le jour où, par un de ces hasards qui n'existe pas, Dieu lui a tendu les bras en le laissant mourrir paisiblement dans ses draps, David prend sa place, usurpe son identité, et sans savoir où il va décide de poursuivre sur la route inconnue de cet autre Moi.


Mais la route ne change pas, vue à l'endroit ou à l'envers du vent qui bat à la décoller de la terre, cette route ne change pas. David n'échappe pas, il détourne, il usurpe, il se déguise et ment pour vivre, pour mieux affronter et peut-être pour ne pas se tromper. Puis il s'arrête enfin, sa décapotable ivre de poussière et de soleils qui suffoquent derrière les kilomètres. David s'allonge sur le lit d'une chambre d'hôtel, dans la position du mort qu'il a usurpé, prêt à dormir du long sommeil des satisfaits comme on commence un beau rêve, un véritable rêve qui celui-là n'en finira jamais.

Je me réveille dans les draps de l'habitude, dans le décor que j'ai construit et souhaité - oui, avec toute mon âme, oui, échaffaudé. On ne rêve que de ce qu'on a déjà vécu. J'ai rêvé de ce que j'ai vécu et c'est sûrement de là que vient cette nostalgie qui m'encombrait au levé.

"Petite fiction sans fond vas-tu me laisser en paix?!"

Une question alors, comme celle que nous force à poser la fuite de David Locke, le reporter, l'homme du vrai et du danger. Qui, dans mon histoire, a été réellement usurpé? De l'identité de qui, la violation d'un lieu qui ne m'appartient plus depuis longtemps, s'est-elle jouée? Dans ce rêve, les bras de l'amant me rassuraient, comme le regard de la jeune fille porté vers l'horizon qui s'éloigne, évitait à David de répondre de sa fuite....

Un blanc, un silence, un temps à re-conter, une réponse qui ne nous sera pas donnée tant que des draps nous ne sommes pas extirpés ; tant que les yeux ne sont pas fixés sur le récit de la journée stoppé par les gestes de la veille.

Ici, j'ouvre les yeux encore une fois, sur ce film qui me permet d'entendre encore la parole de cette voisine qui avait vu aller et venir dans mon appartement, la jeune fille au regard électrique...

2 commentaires:

Stella Polaris a dit…

J'aime les images que tu caches au milieu des mots - c'est comme l'ouverture des portes d'un calendrier de l'avent, l'image chaque fois attendue et pourtant mystérieuse.

Sinon, tu avais raison d'insister pour que j'aille voir Das Leben der Anderen.

Anonyme a dit…

oui - on a envie de trouver d'autres images encore sous les images cachées (et souvent on en trouve)