jeudi 26 avril 2007

à l'ombre


…à l’heure où au ciel qui brûle, contente et qui par sa beauté nous rend muet, il n’est d’autre alternative que l’ombre et son reflet : la parole profonde de qui reste seul dans l’écho d’une journée qui n’en fini pas de recommencer. Pensive et sombre. A l’ombre.

Comment dire autrement. Primo Levi a passé le printemps de sa vie dans l’hiver des camps, à compter, à calibrer, à peser les pierres que le chimiste qu’il était connaissaient par cœur. Compter pour ne pas comprendre quand vient la marche, quand vient la musique qui tord les sens et la raison, les pas qui ne font que fouiller la boue pour y noyer les âmes. Agrippé à nulle autre réalité que celle de la roche, ainsi, il s’est sauvé. Pas une fois Primo Levi n’a écrit la peur. Et c’est pour cette unique raison que, démentie, ignorée, oubliée ou tout simplement crue sa parole est toujours juste:

« (…) le succès et l’échec, tuer la baleine blanche ou fracasser le bateau ; nous ne devons pas nous rendre à la matière incompréhensible, nous ne devons pas rester assis. Nous sommes ici pour cela, pour nous tromper ou nous corriger, pour encaisser les coups et les rendre. Il ne faut jamais se sentir désarmés : la nature est immense et complexe mais elle n’est pas imperméable à l’intelligence ; il faut tourner autour d’elle, la piquer, la sonder, chercher un passage ou s’en frayer un. »

Le système périodique, Nickel.

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Cette pièce est faite de telle sorte que d’où que l’on arrive, où que l’on passe, les quelques pas pourtant mesurés que l’on fait nous amènent toujours à prendre la place de celle venu nous parler, nous amènent à nous tromper. La lumière est douce, elle replie les genoux sous sa robe blanche. La quiétude palit son visage. Dans l’entrebaillement de la fenêtre un petit froid, un qui vous court dans les mains, vous retourne la tête et balaie la voix que l’on est venu entendre. Un sourire et son visage s’éprouve, derrière la plénitude et la lumière, une ombre lunaire, un regard vieilli. Et puis s’entendre dire des vérités, à moitié assoupie ; couchée sur la jutte, appuyée sur cette hanche que le tissu nous fait gratter jusqu’aux os. Pas de trêve, des sursauts de conscience qui me tombent des yeux, me roulent dans le ventre et une fois à terre plus rien, plus rien qu’elle qui me fixe de son œil aérien. Elle plante sa voix dans mes espoirs, et du geste de l’Ange m’indique que mes horizons ne mènent nulle part.

mercredi 25 avril 2007

Jardin Royal



Des jardins suspendus à portée de terre, des sabots affolés qui tonnent comme s’inclinent les cornes de chevaux lachés vers l’horizon et le souvenir qu’un jour j’ai écrit "l’ennui ne ment pas" voilà quelques unes des images aux altitudes à plats qui me courrent dans la tête, dans la tête et ne s’arrêtent pas. L’ennui ne ment pas.

lundi 23 avril 2007

Panorama 9 - Nord


Mon compagnon me dit qu’il est des villes dont les routes nous aspirent et tendent vers un centre que nous n’atteindrons jamais. Il me dit qu’il est d’autres villes qui n’en ont jamais fini de nous faire tourner dans leur ventre. Puis il s’arrête et jette un regard vers le ciel qui s’allonge sur les antennes électriques d’immeubles qui ne cessent de nous humer, de tâter nos va-et-vients à décoller la poussière de ceux qui avant nous sont venus, sont passés. Je décèle alors un large sourire sur son visage cramponné au flux de l’horizon vertical. La musique commence. Un homme en tailleur au pied d’un tambourin à la face duquel il se balance, dessinant à chaque coup de poignet la flamme haletante que sa silhouette offre au regardeur égaré. Il chante.
Ecoute donc un peu le récit de l’errant bienheureux, de celui qui peut poser même en plein été, la brume sur les pavés. La Maison de mon rêve. Celle où un jour nous entasserons des cartons de lettres pour détrôner ceux qui face à l’homme flamme, à la danse du serpent ne répandent que de petites pensées. Je rêve que je marche comme l'homme encore fou des parcours à l’envers des panneaux, à buter dans les roches et le feu…pendant que d’un œil, mon compagnon passe du rouge au vert, sur la danse des lumières, des passants et des courants d’airs. Nous marchons dans les pas d’un autre, craignant les sirènes cachées à l’ombre des fenêtres et des miroirs éthylées. Un tramway passe et dessine les airs que respire la forêt, grésille sur la voix de cette femme qui recouvre ses jambes d’un voile prourpre et blanc…je rêve que je marche dans cette maison, à l’ombre des branches décharnées sur la pluie des bourgeons, je rêve que je marche vers d'autres horizons.

mardi 17 avril 2007

Vert-ige

L’envie de tomber à la renverse, entre soi et le dossier de la chaise des journées passées à penser ne garder que le murmure lacif du bois qui se tort, dandine et craque (une autre brêche dans le temps). S’étendre sur la moquette, sur la patine des nuits pleinent des étés que l’on rêve puis étendre les bras parmi les pétales, tendre la gorge à l’ombre d’un bouquet qui déborde à dévorer son vase. Dormir sur des troncs d’arbres retournés dans le sable…mais rien à faire, la chaleur sur la nuit qui lutte dans nos paupières, rien à faire contre l’œil qui fixe droit devant un pistille incandescent.

dimanche 15 avril 2007

Panorama 8 - Etats d'âmes




Un moment d’hésitation comme on ouvre un brêche dans le temps, dans la clarté d’un jour aveuglant, et dans tous les battements de petites mains qui tournent les pages. Je m’étais arrêtée d’écrire. La rue à pic, à l’amorce de mon pas, à l’aveugle.
Elle aurait pu passer son chemin, elle aurait pu ne pas prendre place à l’ombre qu’une journée dorée par l’attente tranquille avait dessinée (trois accolades sur le pavé). Je ne sais plus, je n’ai pas compris. Elle a pris à revers mes détours favoris puis s’est mise à raconter, posant entre chaque mot la moue de la fillette qui lui court encore dans la tête. L’enfance, c’est passer son temps à courrir dans les maisons, à se cacher derrière les portes et pouffer au creux des mains qui aujourd’hui, face à moi, se replient parfois, masquent ces regards qui vous tiennent au défi de raconter votre propre histoire.
Poser le premier mot à l’endroit des premières fois ? S’enorgueillir d’une parole qui serait juste sous prétexte de mots qui sortent aussi vite qu’ils sonnent ? Hors cadre. Sourd. Le ciel passe sur une nuque qui frissonne. Le verre vibre sur le vent en lutte contre les pages de mon carnet à grimaces. Alors ? Le premier mot sur l’épaule de celui qui nous a montré, une fois, la passerelle passant au dessus des forêts ? Le premier mot sur le cœur, dans ces poings qui n’en peuvent plus de serrer ? Des bribes, des éclats sans nom sur l’hésitation de ma voix. L’horizon se couvre des vestiges de jours passés dans le revers de la lumière, sur le pas d’une porte que l’on craint de voir s’ouvrir sur la barbarie de l’époque. A notre tour désormais ne plus prendre les années, les détours, l’âge et les passages abandonnés pour un compte à rebours. Marcher, suivre la cadence des horloges retournées et puis se mettre à croire que la fin du jour est un Retour.
Je l’écoute me raconter.
Je me creuse la vue dans la tête et de là, je maquille les principes d’un « autrefois » qui ne se souvient pas de moi, ses manières et ses manies futiles. J’ouvre mon carnet, soulève mon verre, le reflets de foules qui ne cessent de passer, le défilé des masques muets. Je feuillette puis je referme. Du cristal dans les mains, et me voilà riche de l’or des rêveurs ! Tant qu’elle me parle, je rempli son verre pour apaiser ma soif. Tant qu’elle me parle, j’entrouve les horizons, je surprends la silhouette sanguine des marcheurs de l’est. Je déblaie un peu plus loin devant eux les parcours accidentés qu’en retour ils imposent à mon silence rageur, mais docile. Sans oser lui dire, je l’appelle, ma dame, ma dame parmi toutes celles qui, ce jour-là, celui d’après, celui que je n’ose pas chiffrer, tiennent la marche sur l’espoir railleur des jours précédants. Mais que croyez-vous ? je ne suis pas sans ignorer l’illusion. Et puis enfin, voilà que j’en fini désormais du beau parcours qu’ont balisés mes hochements de tête. Son verre, impassible : ni la joue blanche de l’eau dans un bulbe clair, de flaques qui s’évaporent, ni la lie fatiguées des liqueurs que le soleil à trop chauffées. Juste le reflet de la vitrine, des rues sapées par toutes ces femmes qui ne portent qu’un nom, ne m’interrogent que d’un seul visage, celui de la vieille mère, de la compagne, celle dont la face d’ombre détient tous mes secrets, celle qui à l’envers du temps, à l’envers des récits bien faits annone mes petites phrases et mes petites pensées.

dimanche 8 avril 2007

Panorama 7 - Plein chant (écho)

Revenir sur ses pas, se retourner sur un vacarme de silhouettes, d’ombres complexes et apprêtées. Je suis sortie tôt pour prendre à nouveau le détour par la route du soleil qui se lève à peine - plein feu sur les parcours enfouis-. Et là, face aux portes que l’heure étincelante fait grincer, j'allonge les bras avant...avant de franchir le seuil puis je tâte doucement, d’un geste inconscient ; ainsi jusqu’à ce que d’une main blanche je serre le coin de mon vêtement chauffé par l’attente, le soleil, le vent et la marche sage des communiants ; un costume. La ville calme, les voix courrent. Ce matin, ils ont ouvert en grand la porte de l’Eglise pour que n’en finisse jamais le chemin dessiné par les pas de ceux qui parlent bas.

Prise de cours, je regarde, j'affole les horizons, là-bas, d’un côté puis de l’autre, par là. Je bute sur la mine inclinée de qui ne m’a pas encore aperçue....puis je souffle. Ils chantent. Ils se pressent sans bouger et, lèvent de temps en temps - absurde – le regard vers l’écran. Un monde (et peut-être l’ombre portée de ton monde) entre ce qu’ils lisent et ce que j’entends. Alors je fais un pas au devant, là où chacun mesure l’espace qui lui faudra pour s’agenouiller, poser la main sur ce sol que les hommes convoitent du regard, du sourire, du visage ivre ou invincible et que les femmes, avec leurs jupes, étendent derrière elles. Mon ombre et le soleil sur leurs nuques imprécises. Extase immobile.
Les statues n’ont pas de visage. Et je sais qu’elles miment à s’y méprendre les signes qu’un peu plus à l’Est les mêmes âmes caves et claires dessinent sur le ciel paisible. De quel côté du dôme cette lumière tombe en pluie sur l’ardeur d’une matînée qui s’enfuit? Deux heures peut-être, depuis le réveil. Ils se lèvent se signent et s’inclinent. Puis à nouveau l’écran et son regard pesant. Moi, qui tombe sur leur voix ou, eux, peut-être, qui reculent toujours plus près de moi. Tous, alors, de leurs yeux sourds, ils t’imaginent. Ils te voient et tu les écoutes me Parler encore une fois dans cette langue que je ne connais pas.

Peut-être l’attente était-elle vaine ? Mais comme je le dessine et le vois, là devant moi qui vrille, je profite de leur chant pour faire entendre ce songe vorace, sourd, blanc :
Dans la chambre du soldat, je marche sur la coque encore dure des tiroirs que j’ai renversés. Je trie parmi les petites futilités cherchant à sauver des débris de ce qu’il reste de nos trois vies - Rappelle-toi ta villel’été, l’hiver et puis l’automne où ne restait plus que le bruit des voies ferrées-

Désormais, devant l'écran, entre le monde et ce qu’ils lisent, un enfant, les petits doigts pointés haut, plantés bas qui scrutent le dôme et le bois. Il lève les épaules contre moi. La masse bouge et la première lettre de chaque phrase déserte le chant. Il est encore tellement jeune. Pas de visage, mais un chiffre sur sa nuque, un chiffre sur lequel ma vue se brise – le fantôme de la ville, de ta rue, de ta fuite fragile et de ton lit défait – trois fois 0 et un 8 dans tous les sens retourné. Un chiffre unique par lequel je te conte. Et contre toutes les voix blanches sur le son des cloches, ne subsiste que ce signe, mutique et presque rageur. Une date anonyme encore, mais qui partage avec moi le territoire d’un « heureux hasard » ; la date anniversaire d’un évènement qui m’attend là, au dehors, pendant que cette tempête docile et discrète balade les évènements qui se ressentent et mentent, qui déblaient nos énergies fidèles et fossiles. Trois signes chiffrant L’union scélée sur ton manque.
Et on retourne aux portes de l’église, pressé par le temps réajusté, le temps serein d’avoir gagné du terrain, d'avoir ramassé les gestes, les lueurs et les visages distants sur un même écran, un même écho, une même image... Cette image me bat aux tempes comme un cœur arraché au refrain qui vient de se terminer. L’union se brise aux portes des églises. Puis l’enfant retourne aux bras de ses parents en même temps qu’il tourne lentement vers moi sa face surgie de l'ombre, mais je pars, la vue trouble, lointaine, contre l’écho, contre ton corps brûlant, jusqu’à ce que la course du soleil dore mon costume encore intact et dessine tout autour de moi l’ombre rêvée de cet anneau que je ne porte toujours pas.

mercredi 4 avril 2007

Après la nuit

Je me réveille tranquille et stupéfaite de voir qu'à côté de moi l'oreiller est toujours en place, prêt à accueillir, comme la veille, une ombre, la mienne. Je me retourne, sourire aux lèvres, je joue. Je joue à celle qui n'a rien vu, je fais semblant et regarde droit dans les yeux la lumière des matins cotonneux. Je joue au jeu des souvenirs qui s'enfuient - comme tes gestes me suivent. Je tâte : compagnie tendre mais inutile, bête et froide, et pourtant docile, qui aurait repoussé sur un corps raidi par le flot de pensées incontrôlables, les bras de la nuit. Longue et lente, la nuit alanguie jusqu'à ... non, la nuit épargnant plutôt l'endroit où mon ombre n'ose plus, où mon ombre n'ose pas prendre ta place. Je m'étend, me prélasse, ferme mon oeil irrésolu et pose ma main délaissée sur les petites habitudes ternies par le va et vient de cette nuit, par la couleur moite et amère du rêve que tu ne saura jamais. Je te sens, je te tais, me lève et te fuit le temps que reste sur l'oreiller encore tiède de cette nuit ressassée, ma mémoire assoupie.