dimanche 15 avril 2007

Panorama 8 - Etats d'âmes




Un moment d’hésitation comme on ouvre un brêche dans le temps, dans la clarté d’un jour aveuglant, et dans tous les battements de petites mains qui tournent les pages. Je m’étais arrêtée d’écrire. La rue à pic, à l’amorce de mon pas, à l’aveugle.
Elle aurait pu passer son chemin, elle aurait pu ne pas prendre place à l’ombre qu’une journée dorée par l’attente tranquille avait dessinée (trois accolades sur le pavé). Je ne sais plus, je n’ai pas compris. Elle a pris à revers mes détours favoris puis s’est mise à raconter, posant entre chaque mot la moue de la fillette qui lui court encore dans la tête. L’enfance, c’est passer son temps à courrir dans les maisons, à se cacher derrière les portes et pouffer au creux des mains qui aujourd’hui, face à moi, se replient parfois, masquent ces regards qui vous tiennent au défi de raconter votre propre histoire.
Poser le premier mot à l’endroit des premières fois ? S’enorgueillir d’une parole qui serait juste sous prétexte de mots qui sortent aussi vite qu’ils sonnent ? Hors cadre. Sourd. Le ciel passe sur une nuque qui frissonne. Le verre vibre sur le vent en lutte contre les pages de mon carnet à grimaces. Alors ? Le premier mot sur l’épaule de celui qui nous a montré, une fois, la passerelle passant au dessus des forêts ? Le premier mot sur le cœur, dans ces poings qui n’en peuvent plus de serrer ? Des bribes, des éclats sans nom sur l’hésitation de ma voix. L’horizon se couvre des vestiges de jours passés dans le revers de la lumière, sur le pas d’une porte que l’on craint de voir s’ouvrir sur la barbarie de l’époque. A notre tour désormais ne plus prendre les années, les détours, l’âge et les passages abandonnés pour un compte à rebours. Marcher, suivre la cadence des horloges retournées et puis se mettre à croire que la fin du jour est un Retour.
Je l’écoute me raconter.
Je me creuse la vue dans la tête et de là, je maquille les principes d’un « autrefois » qui ne se souvient pas de moi, ses manières et ses manies futiles. J’ouvre mon carnet, soulève mon verre, le reflets de foules qui ne cessent de passer, le défilé des masques muets. Je feuillette puis je referme. Du cristal dans les mains, et me voilà riche de l’or des rêveurs ! Tant qu’elle me parle, je rempli son verre pour apaiser ma soif. Tant qu’elle me parle, j’entrouve les horizons, je surprends la silhouette sanguine des marcheurs de l’est. Je déblaie un peu plus loin devant eux les parcours accidentés qu’en retour ils imposent à mon silence rageur, mais docile. Sans oser lui dire, je l’appelle, ma dame, ma dame parmi toutes celles qui, ce jour-là, celui d’après, celui que je n’ose pas chiffrer, tiennent la marche sur l’espoir railleur des jours précédants. Mais que croyez-vous ? je ne suis pas sans ignorer l’illusion. Et puis enfin, voilà que j’en fini désormais du beau parcours qu’ont balisés mes hochements de tête. Son verre, impassible : ni la joue blanche de l’eau dans un bulbe clair, de flaques qui s’évaporent, ni la lie fatiguées des liqueurs que le soleil à trop chauffées. Juste le reflet de la vitrine, des rues sapées par toutes ces femmes qui ne portent qu’un nom, ne m’interrogent que d’un seul visage, celui de la vieille mère, de la compagne, celle dont la face d’ombre détient tous mes secrets, celle qui à l’envers du temps, à l’envers des récits bien faits annone mes petites phrases et mes petites pensées.

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