mardi 1 mai 2007

Métamorphose


Hissées sur des talons, la pointe des pieds gonflée par l’orgueil qui porte au loin le regard, contre la lumière brûlante. De face, la silhouette haletante, je crois que je marche, je rêve que j’avance et ne fait que l’écouter, elle, parler, tout en me tortillant les poignés. Allonger le pas. Et les yeux plissés de soleil ne regarder que devant soi pour se sentir grandir dans le silence de la ville que la journée finissante a déjà longuement possédée.

Il paraît que de cette pièce on ne peut sortir, qu’elle est semblable à tous ces endroits que l’on aperçoit au dernier étage des immeubles, que l’on regarde d’en bas et que les enfants n’ayant plus que faire de la longue ficelle dorée avec laquelle ils jouaient, nous montrent du doigt. Et si c’était ici que l’histoire s’arrête. On referme les vieux pianos et on rêve, on rêve que ce n’est plus le poids des mots, des questions sans sujets, des pierres de l’héritage paternel (et fraternel) que l’on porte sur les bras mais bien le petit enfant dont le hasard nous a confié la garde et auquel on raconte l’histoire pour lui faire oublier l’envie de dévaler les escaliers. Il paraît que dans cette pièce, là haut, il est un homme qui nettoie de grandes vitrines fumées par le vécu de ceux qui y furent invités. Il paraît que derrière les miroirs et le verre reposent de petites pierres sur lesquels la flamme d’une bougie inscrit le destin de chacun, mais que sur cette flamme la parole est un souffle ravageur, sauvage qui dévore les récits qu’elle détient…
Plus rien.

Elle aurait pu passer son chemin mais, ma dame, s’installe à nouveau à l’ombre des nuques qui frissonnent et des plateaux sur lesquels les verres tonnent. Royale, elle tourne la tête d’un bout à l’autre de la terrasse et de son ombre longue sur le soleil du soir, puis elle pose en défi son regard sur le silence magistral des projecteurs qui bourdonnent encore dans le cœur de celle qui vous parle. Chaleur, nuit, puis plus rien. Les cages d’escaliers où ne persiste que le souffle interrompu des portes ayant longtemps baillé avant de claquer. Un orage se prépare.

Prise dans la glace, dans la lourdeur de l’air, dans la pénombre d’un vent en avance sur l’été. La nuit. Je marche, un pas après l'autre sur ma pensée, sur ma pensée que je laisse la, à nue, dans les fissures des trottoirs, sur la brûlure des mots creux et de leur grands gestes dont je me suis délestée. (Toujours ça de pris sur l’arrogance de Saint Germain, de la rue de Rennes ; leur grâce rendue grise par la banalité de ce qu’on vient y chercher la journée). Dans le reflet d’une vitrine, une petite ampoule grésille. Je la regarde au loin, elle me touche le bras, à peine, mais comme si la timidité de son geste était assez forte pour emporter mon corps entier dans une étreinte innommée. Peser ses mots, c’est être seul. Et c’est la nuit qui grésille sur l’équilibre de notre silence, notre conversation rendue à la justice de la rue, à la lumière de la roche usée, des goudrons secs et des odeurs qui battent en retraite à mesure que l’on approche. Lever les yeux au ciel et croire que sa fixité nous provoque. Un éclair. Serrer le point sur l’espoir de trouver le point culminant de notre parcours, le chemin ou son détour, avant d’apercevoir (et recevoir) le vide dans nos mains. Ombre blanche sur le regard qui acquiesce, gestes irraisonnés vers celui qui interroge, calme sur celui qui fuit mes paroles. Je ne peux lui rendre son geste car Ma dame a trois visages. Chacun leur tour, ils me sourient, me tiennent au défi de leur livrer l’histoire que la pluie raconte aux vitrines, à nos paumes et à nos pierres. Se (re)tenir dans les coulisses du soir, une silhouette stupéfaite, un corps obnubilé par quelques idées fixes et ne voir en elles rien d’autre que le sentiment d’un éternel recommencement, de la profonde satisfaction de contrer les mêmes courants, de dessiner les mêmes contours et s’entêter devant les mêmes carrefours ; ne voir en elles que la certitude volatile d’avoir changé.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

"l'arrogance de la rue de rennes" - on n'avance pas dans cette rue ; c'est dans une rue perpendiculaire (laquelle ?) que Bataille dans l'expérience intérieure voit fondre sur lui le rire terrible et profond du rire lui même (le rire, "le saut du possible dans l'impossible") Quand je passe rue de rennes ("un pas après l'autre sur ma pensée..."), c'est à cette douleur du rire que je pense - "le vide dans nos mains".
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